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Ils s'appelaient
Charles, Robert
et Paul...
...ET AVAIENT TOUS LES TROIS EN COMMUN L’AMOUR DE
NOTRE GRAND SUD CHEVILLÉ AU CORPS. ILS ONT VÉCU LÀ,
SANS AUTRE FORME DE PROCÉS QUE CELUI DE L’AMOUR
QU’ILS ONT PORTÉ À BOUTS DE BRAS POUR CETTE ÎLE
MAURICE QUI FIT TOUT, OU PARTIE, DE LEUR NOTORIÉTÉ.
L’un, Charles Telfair (17771833), était botaniste-naturaliste.
Un Irlandais de naissance que
rien, sauf le sort des armes,
ne prédestinait à une vie
mauricienne. Celle-ci fut tellement
ardente et riche de réalisations
qu’il fit en sorte de mourir là,
dans ce Bel Ombre qu’il chérissait
tant ! Le second, Paul Jean Toulet
(1867- 1920), était né à Pau
de parents mauriciens mais
demeura marqué à vie par cette
île «...jardin qu’un dieu, sans
doute, a posé sur les eaux... »
dans laquelle il demeura trois
ans, miné par l’alcool et la
drogue. Le troisième, lui, Robert
Edouard Hart (1891-1941), était
mauricien de naissance puisqu’il
naquit à Tranquebar et vécut et
mourut dans sa petite maison de
corail à Gris-Gris en 1941.
Profondément différents les uns
des autres, puisque Telfair était
chirurgien et planteur, que Paul
Jean Toulet était poète tandis
que le troisième larron de cette
trilogie magique était lui aussi
poète mais d’un clacissisme à
toute épreuve, ils ont marqué
cette région d’une empreinte
indélébile. Rêvons un peu et
imaginons que ces trois hommes
se soient rencontrés lors d’une
même soirée. Et pour les besoins
de la cause, cette réunion se
passe chez Charles Telfair, à Bel
Ombre, quelque part entre mer
et montagne. Voici ce que cela
pourrait donner...
HERITAGE RESORTS STORIES |
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La nuit est tombée depuis
longtemps. La grande varangue
qui fait le tour de la maison est
éclairée par des torchères qui
donnent à la pelouse des reflets
chatoyants. Telfair est inquiet
car ses hôtes ne sont pas encore
arrivés. Soudain au loin,une sorte
de ronflement, comme celui d’un
animal blessé qui n’arrêterait pas
une seconde de gémir. En même
temps, deux traits de lumière
percent l’obscurité voisine : un
espèce de char en métal fait
irruption dans l’allée qui mène
à sa maison. Du jamais vu pour
Charles Telfair. Le char en métal
s’arrête finalement devant lui et
en sort un homme, le cheveu rare
et la pipe à la bouche. Pendant
que Telfair inspecte la machine
qui ne fume plus, l’arrivant lui
tend la main : « Robert Edouard
Hart, votre serviteur, qui a
beaucoup entendu parler de
toutes les choses merveilleuses
que vous avez faites ici. »
Effrayés par tant de bruit, trois
lièvres sortent d’un buisson et
s’enfuient à toute vitesse vers
la forêt toute proche. Pendant
que les deux hommes font
connaissance, une calèche fait
à son tour son entrée dans
l’allée. Affalé sur la banquette
arrière, un homme coiffé d’une
casquette et portant barbe se
lève péniblement, une bouteille
à la main. Il s’avance en titubant
vers les deux hommes et a juste
le temps de murmurer, avant de
s’affaler dans un grand fauteuil :
« Douce plage où naquit mon âme
Et toi savane en fleurs,
Que l’Océan trempe de pleurs
Et le soleil de flamme. »
Paul Jean Toulet est arrivé... La
soirée peut commencer...
« Bonjour chers aînés , s’exclame
Hart. Par delà les années, le
créateur a voulu que nous nous
rencontrions, quelques heures,
le temps pour nous d’échanger
notre amour pour ce grand
Sud. Et pour ce faire, je vais
vous livrer ces premières lignes
de mon prochain écrit qui sera
dédié au Morne. "Elle a l’air
d’être immobile, et dormante,
et morte. Pourtant elle vit de
toutes ses clartés et de toutes ses
pénombres..." »
Fasciné par tant de talent
littéraire, Telfair se tait
pudiquement. Aux dimensions
agricole et industrielle qu’il avait
données à Bel Ombre s’ajoutait
maintenant une perspective
littéraire. Il se précipite pour
donner l’accolade à ses visiteurs,
mais au même moment,
un éclair zèbre le ciel et tout
disparaît ! Plus de char en métal,
plus de calèche et plus de poètes.
La magie du rêve a vécu pour
notre plus grand plaisir...