Fragonard - Marguerite Gérard. Une révélation, des propositions. Exposition mars 2025 - Catalogue - Page 98
Réflexions sur le parcours singulier de Marguerite Gérard
plus prononcés dans le tableau de la
collection Costa. L’enfant arbore un
béret vert, une veste grise et un gilet
foncé sur une chemisette blanche.
Son regard vif et sombre, sa carnation
rosée, son nez petit surmontant une
bouche bien dessinée, ses cheveux
blonds retombant en boucles souples
sont habilement représentés.
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Les têtes enfantines qui ont succédé
aux minois désabusés des danseuses
ou des femmes à la mode dans
l’œuvre de Fragonard se distinguent
par la subtilité et le piquant de leur
expression. Nul n’a su rendre en effet
avec autant de vérité les yeux étonnés,
les sourires, les fossettes et les boucles
d’anges des enfants, ni mieux suggérer
leur âme impressionnable et candide.
Les Goncourt ont admirablement
montré comment le format restreint
de ces têtes – proche de la miniature
– permet de traduire à merveille la
vivacité du regard juvénile : « Des
enfants, Fragonard a peint là les yeux
de diamants noirs et humides. Il a
su rendre cette -amme des jeunes
regards, la mouiller, l’allumer, mieux
que n’ont fait, avec les ressources
de l’huile, Greuze et le peintre
anglais Lawrence. Il a peint le nuage
de leurs traits, la molle et délicate
indécision de leurs contours jou8us,
leur chair douillette et sou8ée,
la )ne porcelaine de leur front, le
bleuissement d’azur de leurs tempes,
la moue ou le sourire épanouissant ou
fermant la -eur rouge de leur bouche.
Vraies miniatures de soleil où vous
chercherez vainement le travail, les
hachures, le pointillé, les sécheresses
des miniatures. Une goutte d’eau
dans laquelle serait tombé un rayon,
voilà le mystère et l’enchantement
de ces légers chefs-d’œuvre35. »
Posant presque de face, le modèle
de nos portraits nous présente
dans les deux versions (ill. C et D)
un même joli minois au regard
éveillé et à l’éclatante jeunesse. Une
vision de fraîcheur se dégage de ces
compositions, qu’une touche inspirée
justi)erait de classer parmi les
portraits les plus séduisants du maître.
La )nesse du modelé en clair-obscur,
la facture légère, la transparence des
glacis et les yeux brillants du modèle
pourraient en effet su,re à nous
convaincre de l’attribution de ces
portraits à Fragonard si Marguerite
Gérard ne s’était pas également
adonnée à cet exercice avec assiduité
à la )n des années 1780 et au début
de la décennie suivante. La di,culté
réside dans la confusion qui s’est
progressivement introduite entre les
œuvres du maître et de son élève.
Si l’on fait abstraction du sujet et
que l’on rapproche nos œuvres de
tableaux d’histoire contemporains
35. Edmond et Jules de Goncourt, « Fragonard », dans
L’Art du xviiie siècle, Paris, Rapilly, 1873.