DWZ catalogue BD - Flipbook - Page 86
Jeanne Roques, DITE Musidora
(Paris, 1889 - 1957)
S
ommairement signé « Musidora », notre
petit dessin constitue un rare témoignage
de l’œuvre dessiné de l’une des plus importantes
vedettes du cinéma français des années 1910. De
son véritable nom Jeanne Roques, Musidora nait
en 1889 à Paris au sein d’une famille modeste
d’artistes. Ses parents, un compositeur et une
femme de lettres, lui transmettent des valeurs
de liberté et de modernité dans lesquelles l’art
tient une place prépondérante. D’abord attirée
par le dessin et la peinture, Jeanne entreprend
des études aux Beaux-Arts de Paris avant de
trouver dans le théâtre sa véritable vocation.
Multipliant les rôles aux Folies Bergères, elle se
fait appeler « Musidora », un surnom emprunté
à l’œuvre Fortunio de Théophile Gautier. C’est
lors de l’une de ces représentations que Louis
Feuillade la repère un soir de l’année 1913. Charmé
en particulier par ses yeux, ce dernier la fait intégrer les studios Gaumont, au sein desquels ils
tourneront ensemble une trentaine de « vaudevilles » muets à grand succès. En 1915, Musidora
triomphe à l’écran en incarnant Irma Vep, l’héroïne sulfureuse du nouveau serial Les Vampires.
Sa silhouette moulée d’une tenue de soie noire
signée Paul Poiret suscite d’emblée la fascination. Musidora devient rapidement un mythe :
« la dixième muse » d’André Breton, le père des
surréalistes qui voit en elle l’image de la femme
moderne. En associant séduction et cruauté, Irma
Vep est d’emblée assimilée à l’archétype de ce
qu’on appellera plus tard la « femme fatale », que
Musidora, dirigée en ce sens par Louis Feuillade,
ne cessera d’alimenter à l’écran, mais aussi dans
la vie. A la fois belle, sensuelle et audacieuse, elle
nie les frontières de genre en s’habillant à l’écran
en garçon ou en 昀椀lle, et en acceptant les missions
les plus dangereuses. Amie de Colette, Pierre
Louÿs et Marcel L’Herbier, elle en vient à diriger
ses propres 昀椀lms à partir de 1916, devenant ainsi
la troisième femme réalisatrice française avec
Alice Guy et Germaine Dulac. Le développement
de sa notoriété l’amène à créer en 1919 la Société
des Films Musidora avec le patron de presse Félix
Juven. Dans une société bouleversée par l’enlisement de la Première Guerre mondiale, Musidora
est élevée au rang de mythe vivant, marquant
plusieurs générations par sa silhouette singulière et ses grands yeux noirs, jusqu’à s’inscrire
durablement dans la mémoire collective.
R
apidement croqué au fusain par Musidora
l’année même de la création de sa société
de production cinématographique, notre saisissant petit autoportrait retranscrit sur la feuille
tout ce qui a fait la singularité et le succès de
la jeune actrice et réalisatrice de trente ans.
En effet, si le corps d’Irma Vep a cristallisé les
interrogations plastiques et esthétiques de son
temps, l’idéal photogénique du pâle visage percé
de grands yeux noirs très expressifs de Musidora
a longtemps concentré les désirs d’un cinéma
français encore à ses premiers balbutiements.
Fig. 2 :
Musidora,
a昀케che par Guy Arnoux.
Fig. 1 :
Musidora photographiée par
Henri Manuel dans les années 1910.