DWZ catalogue BD - Flipbook - Page 76
… /…
langage plastiques des avant-gardes parisiennes.
Bien que sa peinture, quasiment méconnue
jusqu’à aujourd’hui, n’a semble-t-il pas été exposée du vivant du sculpteur, elle suscite l’intérêt
de certains critiques lors de la rétrospective posthume organisée en octobre-novembre 1919 par
la Galerie des Feuillets d’art, 11 rue Saint Florentin
à Paris6. Malgré la disparition prématurée de
leur auteur, Benvenuto souligne dans les pages
de La Gerbe combien Wasley « était déjà un
bel artiste », en mentionnant entre autres « ses
peintures, qui rappellent Van Rysselberghe [et
ses aquarelles] qui nous montrent qu’il n’hésitait
pas à patauger en pleine eau sans se noyer7 ».
Le rapprochement qu’effectue le critique avec le
peintre pointilliste belge n’a en effet rien de forcé
lorsque l’on s’attarde sur nos deux toiles. Figurant
la rue de l’Abreuvoir dans le Vieux Montmartre
(昀椀g. 3), la première d’entre elles frappe par le
divisionnisme savant de sa facture, les contrastes
des ombres et lumières sur les pavés, associés
à des couleurs vives que ne renieraient pas les
fauves. Conservant le charme et le tracé d’un
chemin villageois avec ses vieilles maisons, cette
pittoresque voie parisienne, que peindra plus
tard à maintes reprises Utrillo, propose par sa
courbe serpentant le 昀氀anc de la Butte une invitation directe à la 昀氀ânerie. Vue depuis l’allée des
Brouillards, non loin de l’une des adresses de
Wasley, elle met en exergue à gauche le rouge vif
de la devanture de la Maison Georges, buvette
et épicerie réputée pour sa bienveillance envers
les artistes impécunieux. Comme noyé dans le
pointillisme du ciel, le dôme blanc de la basilique
du Sacré-Cœur apparaît discrètement à l’horizon,
encore dépouillé de son imposant campanile qui
ne sera achevé qu’en 1912.
N
otre deuxième tableau représente l’intérieur de l’atelier qu’occupe Wasley depuis
1903 au 5 rue de l’aqueduc, dans le Xe arrondissement, avant de déménager au 6 boulevard de
Clichy en 1908, aux pieds de la Butte. L’artiste
place le cadre de son intimité créatrice avec son
grand chevalet et sa palette à droite, son vieux
poêle à charbon et une sellette à gauche sur
laquelle repose un singulier objet art nouveau,
vase ou pied de lampe, probablement en étain,
évoquant ses premiers envois au Salon. Le mur
derrière le poêle rassemble pêle-mêle le moule
en plâtre d’un torse nu au-dessus d’un petit
médaillon serti de velours rouge, annonçant la
vocation de sculpteur de Wasley, et quelques
tableaux, parmi lesquels trône notre imposante
Rue de l’Abreuvoir. Au fond, l’auteur se représente sans doute lui-même, assis, les jambes
croisées arborant ses chaussons rouges d’artiste,
fumant une pipe en compagnie d’un modèle féminin partiellement dénudé qui prend des allures
de muse moderne. Au-dessus de ce couple, la
lumière émanant de la lucarne vient ombrer tous
les éléments de la pièce en un subtil pointillisme.
Par leur originalité, ces peintures, aux côtés des
sculptures de l’artiste, suscitaient l’émotion de
son ami André Warnod, auteur de la préface de
son exposition posthume de 1919 : « Warnod nous
émeut en rappelant la fermeté de caractère de
l’artiste disparu. Il était de ceux qui préfèrent la
misère à une médiocrité assurée ; il avait écrit :
je ne veux pas me dire, quand je serai vieux : « Tu
n’as pas osé ! » paroles profondes que plus d’un
pourrait méditer. Mais Wasley ne deviendra pas
vieux ; tant pis pour l’art ; tant mieux peut-être
pour lui. N’était-il pas né pour souffrir, puisqu’il
avait du talent8 ? »
1
Mille, Pierre, « Le Salon de 1918 », Gazette des Beaux-arts, avril-juin 1918, p. 215.
2
M., P. [Mortier, Pierre], « Les Arts – Léon-John Wasley », Gil Blas, 10 août 1912, p. 5.
3
Ibid.
4
Frédéric Gérard (1860-1938), dit « le père Frédé », devient en 1903 le tenancier du Lapin agile, 22 rue des Saules
dans le 18ème arrondissement de Paris, et y accueille la clientèle avec sa compagne Berthe jusqu’en 1938.
5
« Pouvais-je ne pas voir avec surprise le grand Christ de plâtre, du sculpteur Wasley, servir aux habitués de l’endroit
de porte-manteau ? Une toile de Picasso était accrochée au mur, à côté. », in Les veillées du « Lapin agile » ;
préf. de Francis Carco ; textes de G. Apollinaire, Paris, L’édition française illustrée, 1919, p. VII.
6
Sculptures, peintures et aquarelles de Léon John Wasley, Paris, Galerie des Feuillets d’art, 11 rue Saint Florentin,
27 octobre – 8 novembre 1919, préface d’André Warnod, New York, Frick Collection (OCLC : 81407458).
7
Benvenuto, « Flâneries d’un artiste », La Gerbe, 1er décembre 1919, p. 90.
8
Ibid.