DWZ catalogue BD - Flipbook - Page 66
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de sa vie suscité l’intérêt d’importants collectionneurs tels Olivier Sainsère ou la galeriste Berthe
Weill. Launay a rassemblé sur une table couverte
d’une nappe un petit livre à la reliure verte, une
bouteille de vin, quelques fruits, une tasse de café
et un large bouquet de chrysanthèmes rouges,
oranges, jaunes et blanches. Si l’ordonnance des
éléments paraît assez traditionnelle, la facture
comme la gamme chromatique employée se
veulent résolument modernes et hybrides. Alors
que la nappe et la bouteille sont traités en larges
aplats, au couteau, les 昀氀eurs accusent une fragmentation de la touche en épais bâtonnets, trahissant une certaine allégeance à la peinture de Van
Gogh. Exactement comme dans son Tournesol
(昀椀g. 1), le fond est brossé de manière divisionniste
en lignes verticales, conférant volontairement
à l’ensemble un caractère plus vibrant. Autant
d’éléments plastiques qui suggèrent que cette
œuvre ait bien été présentée par Launay de son
vivant. En 1902, l’artiste expose précisément deux
natures mortes aux Indépendants (cat. n° 1022 ou
1023), puis quelques mois plus tard chez Berthe
Weill (cat. n° 11). En effet, le temps d’une exposition, cette dernière réunit au mois de novembre
Launay, Girieud, Picasso et Pichot, et certains
critiques se montrent élogieux à l’égard de ces
jeunes peintres encore en devenir, tel Charles
Morice qui associe ainsi Launay à Picasso dans
le Mercure de France :
Deux Français, deux Espagnols ont réuni
leurs plus récentes œuvres. Français ?
Espagnols ? Dis-je bien vrai ? Non. Tous quatre,
citoyens de Montmartre ! Patrie de leur désir,
atmosphère de leurs travaux et de leurs ambitions, de leur art. Art jeune (je ne dis pas « l’art
nouveau » !) avec ses audaces et ses bonheurs,
ses faiblesses, ses dangers : la période de
recherches en soi […] mais je ne sais rien de
plus intéressant, de plus émouvant que cette
sorte d’avant-l’aube des esprits, — rien, aussi,
de plus signi昀椀catif : si vous voulez connaître
les directions présentes de l’art. […] Ce qu’ils
produisent est bien d’un temps où la poésie des
symbolistes et le roman des naturalistes sont
contemporains. Il y a beaucoup de réalisme, de
brutalisme même dans la peinture qu’on peut
voir rue Victor-Massé, mais très bizarrement
cette dévotion servile aux premiers dehors des
êtres et des choses se combine avec un bel instinct décoratif. […] Chez Launay et Picasso, l’art
se bute au négatif, ce mur où il est fatal que se
brisent les générations sans amour2 ».
«
i Picasso eut la carrière que l’on sait,
Launay fut brisé dans son élan dès sa
prime jeunesse, et notre toile constitue le rare
témoignage d’un talent qui, peut-être, n’avait pas
encore livré toutes ses promesses.
S
1
Girieud, Pierre, « Souvenirs d’un vieux peintre », in Martine & Bertrand Willot,
« Nous étions trois amis intimes qui avions vingt ans aux alentours de 1897 : Bottini, Launay et moi… »,
in Plein Chant n° 80, Bassac, novembre 2005 (récit biographique), p. 67.
2
Morice, Charles, « Exposition de MM. Girieud, Launay, Picasso et Pichot »,
Le Mercure de France, décembre 1902, p. 804.
Fig. 1 :
Fabien Launay,
Le Tournesol, 1902,
Huile sur toile (81,5 x 45,5 cm),
Paris, Centre Pompidou - Musée national d’art moderne
(inv. LUX.0.103P).