DWZ catalogue BD - Flipbook - Page 58
Emile Delrue
(Anvers, 1878 – 1928)
N
é à Anvers, Émile Delrue est un peintre
et décorateur belge dont l’œuvre singulière n’a pas encore dévoilé tous ses mystères.
Vraisemblablement imprégné de l’idéal symboliste, l’artiste a très tôt intégré le cercle d’avantgarde ‘De Scalden’, fondé en 1889 dans sa ville
natale sous la conduite du médailleur, sculpteur,
af昀椀chiste, graveur et designer anversois Jules
Baetes. L’expression ‘De Scalden’ peut être traduite littéralement du néerlandais par « Les
Scaldes », faisant référence, non sans un certain
humour, aux bardes et poètes scandinaves du
Moyen-âge. Le groupe a pour objectif principal
d’organiser des expositions associant beaux-arts,
arts décoratifs et arts appliqués, prolongeant
ainsi en Belgique les idéaux portés par les Arts
and Crafts et l’art nouveau en lui mêlant parfois
certains éléments plus archaïques qui lui sont
propres, empruntés à la renaissance 昀氀amande.
Outre des peintres, des graveurs et des sculpteurs, ce cercle a la particularité de rassembler
architectes, poètes, écrivains, compositeurs,
travailleurs de cuir, décorateurs, forgerons,
ciseleurs, af昀椀chistes et maîtres verriers, allant
jusqu’à totaliser plus de cent-vingt membres. En
plus des expositions, ils sont à l’origine à Anvers
de plusieurs carnavals et autres événements
festifs, qui sont autant d’occasions de concevoir
des costumes, chars et bannières. Si la Première
Guerre mondiale et l’invasion de la Belgique
par l’Allemagne met 昀椀n à ‘De Scalden’, Emile
Delrue poursuit sa carrière en développant une
activité ingénieuse d’af昀椀chiste et de décorateur,
notamment en réalisant en 1923 l’intégralité
des décors aux motifs stylisés de plantes et de
昀氀eurs, puisés dans le répertoire art nouveau,
de la nouvelle villa du joaillier Raymond Ruys,
implantée dans le « nouveau parc » de Wilrijk,
quartier de luxe d’Anvers.
P
ar son iconographie étrange, notre grand
pastel nous plonge dans l’univers onirique
d’Émile Delrue, manifestement épris d’un symbolisme noir et singulier. Son titre apposé en lettres
majuscules en bas à gauche, « Kerkspinnen »,
identi昀椀e ici les « araignées d’église » peuplant
de leurs toiles les anciennes voûtes des édi昀椀ces
gothiques. Delrue représente quatre bestioles
anthropocéphales aux longues pattes velues
s’agrippant les unes aux autres autour d’un
chapiteau comme des singes laineux dans leur
jungle. Si l’araignée habite toutes nos croyances,
peurs et fantasmes depuis l’Arachné antique
des Métamorphoses d’Ovide jusqu’aux Noirs
d’Odilon Redon, en passant par les illustrations
de Gustave Doré ou d’Arthur Rackham, Emile
Delrue en propose une représentation plus
tendre, souriante et pleine d’humour. Il semble
même accorder une certaine sensualité à ces
êtres hybrides en leur ajoutant des attributs
plus explicitement féminins, tels des seins et
de longues chevelures. Vivantes gargouilles aux
vertus apotropaïques, elles paraissent se fondre
parfaitement dans le décor médiéval de l’église.
Toutefois, les araignées de Delrue gardent leur
caractère vénéneux et malé昀椀que si l’on se 昀椀e au
jeu de perspective mis en place par l’artiste les
associant à un vitrail d’Adam et Ève mangeant
du fruit défendu. Dominant le couple primitif en
train d’opérer son péché originel, l’une d’entre elle,
suspendu à sa toile, a ainsi pris la place laissée
vacante du serpent tentateur de la Genèse.