DWZ catalogue BD - Flipbook - Page 26
Émile Auguste Wéry
(Reims, 1868 – Gressy, 1935)
F
ils d’un graveur-ciseleur rémois, le peintre
Émile Wéry se rend très jeune à Paris où il
suit successivement les enseignements de Léon
Bonnat, Jules Lefebvre et François Flameng à
l’Académie Julian. C’est au sein de cette célèbre
école qu’il se lie d’amitié avec Henri Matisse,
occupant un atelier contigu au sien sur le boulevard Montparnasse. A la faveur d’un voyage en
Bretagne qu’ils 昀椀rent avec Augustin Hanicotte
au printemps de l’année 1896, Matisse rapporte
l’adoption par Wéry de certains principes esthétiques de l’impressionnisme, notamment une
gamme chromatique vive et claire : « Je n’avais
alors que des bistres et des terres sur ma palette,
alors que Wéry, lui, avait une palette impressionniste 1 ». Exposant au Salon des Artistes
Français dès 1889, le jeune artiste rencontre un
certain succès, obtenant des médailles de troisième et deuxième classe en 1897 et 1898, puis
une médaille d’argent à l’Exposition Universelle
de 1900, avant d’être nommé chevalier de légion
d’honneur en 1906. Ses paysages atmosphériques
comme ses sujets bretons sont rapidement prisés
par des collectionneurs réputés, tels le comte
Edward Aleksander Raczyński et Henry Vasnier.
Vers 1910, il se 昀椀xe en Provence, d’abord tout près
de Renoir et de sa maison des Collettes, puis vers
la 昀椀n de la guerre aux Hauts-de-Cagnes, dans un
vieux moulin qu’il baptise « La Maison rouge » et
dont il orne de fresques la salle à manger.
D
1
atée de 1889, la toile que nous présentons
s’inscrit dans le rare corpus des œuvres
de jeunesse d’Emile Wéry. Encore assez éloignée
de tout impressionnisme, elle traduit davantage,
tant par son sujet qu’au niveau technique, l’intérêt que le peintre porte en premier lieu pour le
synthétisme des nabis. L’affectueuse dédicace
à « l’ami Émile Bernard », vraisemblablement
rencontré sur les bancs de l’Académie Julian,
témoigne d’une réelle proximité avec le groupe
d’avant-garde, exposants leurs toiles cette même
année au café Volpini, dans le cadre de l’Exposition Universelle. Wéry nous introduit ici dans
l’intimisme d’une petite chambre à coucher où
sommeille une jeune femme, étendue sur son
lit. Traitée en larges aplats avec un sens du raccourci en partie dérivé des estampes japonaises,
la composition se fonde sur un réseau de lignes
horizontales et verticales, superposant la couverture en toile de jute, la paillasse à rayures bleues et
blanches sur le sommier gris du lit en bois. Par un
subtil jeu de lumière, le battant ouvert de la porte
à gauche vient délicatement ombrer une partie de
la pièce, laissant dans une semi-obscurité le pro昀椀l
fuyant et quelque peu énigmatique du modèle.
La position demi-assise de ce dernier, reposant
sur un large oreiller 昀椀nement brossé, les épaules
dénudées et le bras étendu le long du corps,
paraît suggérer une convalescence et confère
par là-même une dimension plus tragique à cette
scène silencieuse. En supposant l’évanouissement de la conscience propre au sommeil, notre
œuvre s’inscrit déjà dans l’un des thèmes de
prédilection du symbolisme, et rapproche Wéry
de ses contemporains Vuillard et Bonnard.
Matisse, Henri, cité in Schneider, Pierre (dir.),
cat. exp. Henri Matisse (Paris, Galeries nationales du Grand Palais, avril-septembre 1970), Paris,
Réunion des musées nationaux, 1970, p. 21.