MOCI FEVRIER 2021 - n°2080 - Magazine - Page 53
prendre la vague digitale
Entretien avec Arnaud Leurent
En quoi la digitalisation change
le travail de prospection
à l’international ?
© DR
Membre du bureau de la Fabrique de l’exportation
et fondateur d’All Winds (groupe Salveo).
Nous allons vers une
hybridation, combinant
physique et digital
Membre du Think Tank la Fabrique de l’exportation,
ancien responsable export, passé par différentes
sociétés de conseil avant de créer All Winds, société
qui accompagne les entreprises à l’international
(et a rejoint Salveo en 2020), Arnaud Leurent pose
un œil averti sur la digitalisation de la prospection
internationale. Son credo : l’hybridation.
Propos recueillis par Sophie Creusillet
Profil LinkedIn
cutt.ly/zkNLwBt
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LE MOCI N° 2080 - Février 2021
Arnaud Leurent. L’époque où le directeur
export était, disons de manière un peu caricaturale, une sorte d’Indiana Jones qui passait
son temps à voyager partout dans le monde
pour défricher de nouveaux marchés, représenter l’entreprise, dénicher de nouveaux
clients, entretenir les relations avec les partenaires locaux ou arpenter les allées des salons
est clairement révolue.
Aujourd’hui, en raison de la crise sanitaire, les
commerciaux ne se déplacent plus et échangent en visio. Et ce n’est pas du tout la même
chose de mener une négociation pendant
deux heures de réunion suivie d’un déjeuner
ou pendant 45 minutes par écran interposés.
Les façons de travailler ont dû évoluer très
rapidement. Aujourd’hui, pour s’adapter aux
contraintes imposées par la Covid-19, il faut
créer des binômes composés d’un spécialiste
du commerce international et d’un spécialiste
du digital.
Comment les entreprises ont-elles
réagi à la digitalisation des salons ?
A.L. Au début, leurs réactions ont été diverses,
certaines ont rejeté ce format, d’autres l’ont
essayé et l’ont finalement trouvé pas si mal.
Aujourd’hui encore, cette pratique est balbutiante, les PME n’en ont pas encore l’habitude
et donnent souvent l’impression de bricoler.
Rares sont celles qui ont su apprendre.
Cela étant, il y a une différence entre les
entreprises qui débutent à l’international et
celles qui y ont déjà une expérience.
www.lemoci.com
Sur les salons totalement digitaux, la réaction des premières a pu être enthousiaste face
au nombre de contacts qu’il est possible de
créer sur ce type de plateformes. Elles ont une
démarche peu structurée devant des contacts
nombreux mais peu qualifiés et fonctionnent à
l’opportunisme.
Les secondes savent qu’il faut déblayer
le terrain avant de se rendre sur ces salons
pour gagner du temps. À la limite, elles n’ont
pas besoin de ces salons et mettent en place
des alternatives pour poursuivre leur travail
de prospection à l’aide de vitrines virtuelles,
de missions à distance et de négociations en
visio. Elles sont en train de développer des
solutions hybrides, mêlant rencontres physiques, parce qu’il y a toujours un moment où
il faut se voir, et utilisation des outils digitaux.
Quels sont selon vous les avantages
et les inconvénients des foires
et salons virtuels ?
A.L. Si vous préparez bien votre salon, en étudiant à l’avance la liste des exposants par
exemple, ce sont de bons outils pour nouer de
premiers contacts à développer ensuite à distance. Pour se tenir au courant des tendances
marchés, les visioconférences que l’on peut voir
en replay sur le site du salon sont très pratiques.
Le virtuel permet également de faire des
économies. Exposer sur un salon, et même
simplement le visiter, coûtent cher entre les
frais d’inscription, les billets d’avions, les nuits
d’hôtel… Sans compter la fatigue du voyage.
Quand on a peu de temps en visio pour présenter son produit à un client potentiel ou
négocier un prix, il faut avoir analysé à l’avance
ses besoins et ses attentes et faire preuve de
pragmatisme. Cela demande un gros travail
d’intelligence économique en amont. Il faut en
savoir le plus possible sur son prospect avant
de le rencontrer.
La préparation d’un salon virtuel
a donc des exigences particulières.
A.L. Oui, il faut également présenter son offre
de la manière la plus complète et la plus claire
possible en l’adaptant aux besoins du prospect.
Comme les échanges passent par le digital,
les entreprises se dotent d’outils plus adaptés
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« Avoir un relais sur place
est important »
qu’une plaquette de présentation et des fiches
produits. On assiste par exemple au grand
retour des vidéos. Une entreprise qui produit
des machines pour l’industrie a ainsi constitué une base de données vidéo de toutes ses
machines pour les présenter.
Les pratiques digitales
disparaitront-elles avec le retour
du présentiel, ou vont-elles
les supplanter ?
A.L. Ni l’un ni l’autre. Je crois que nous allons
vers une hybridation, combinant physique et
digital.
Les salons physiques ne vont pas disparaître, mais les façons de travailler vont changer. La répartition du travail entre le France
et les partenaires locaux sont ainsi amenés
à changer. Je crois au retour des correspondants qui sont sur place depuis longtemps,
des séniors expérimentés qui connaissent la
langue et la culture, sont capables de représenter une entreprise. Alors que les déplacements sont encore très restreints, avoir un
relais sur place est important.
La digitalisation a aussi un impact non négligeable sur les ressources humaines. Parmi
les directeurs export qui se sont retrouvés
désorientés au début de la crise, certains vont
changer de métier et d’autres s’adapter à ces
nouvelles conditions de travail et à ces nouveaux outils.
Les entreprises vont également devoir
apprendre le management à distance. Le digital le permet, il permet même de faire du team
building. J’ai assisté ainsi à un concours de
cuisine en ligne. C’était un peu brouillon et
hésitant au début et une heure plus tard, tout le
monde prenait du bon temps.
Le digital va profondément changer les
façons de travailler et de faire du commerce
international, et les dix ou vingt prochaines
années vont être passionnantes. g
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