Fabienne Verdier- Retables, Lelong&Co, Paris - Flipbook - Page 17
marche de l’univers). Avec le retable de Tetschen, initialement réalisé pour
décorer une chapelle, il avait révolutionné l’art chrétien en donnant au
paysage une dimension aussi sacrée qu’une Crucifixion. En fermant le livre
de Fabienne Verdier, l’évidente proximité de nos sensibilités me fit pressentir que nos chemins allaient se croiser. Dans ce monde d’abord préoccupé
de matérialité, ceux qui consacraient leurs jours à une commune et obsessionnelle introspection finissaient par se reconnaître, c’était dans l’ordre
des choses. À Hédouville, la maison-atelier de Fabienne Verdier est bâtie
sur une source. Comment en serait-il autrement ? Rien n’est anodin dans le
cheminement d’un créateur. Quelque chose l’aimante spontanément vers
ce qui nourrira son travail qui, à son tour, participera au développement de
l’être. Même les impasses sont des avancées. Pour celui qui cherche, l’expérience fait sens, et ce sens n’est jamais achevé. C’est une impossible tâche
de vouloir fixer la signification d’une œuvre. Sa portée échappe à l’entendement de celui qui la conçoit. Il n’y a moyen d’évoquer que ce qui nous y relie.
Fragment par fragment, en espérant que chacun d’eux puisse contenir un
peu de la saveur d’un hypothétique tout. À la manière d’un entomologiste, je
vais tenter d’épingler certains aspects importants à mes yeux du travail de
l’artiste, tout en sachant que le grand flux dont émanent les formes n’admet
pas ce genre de séparation.
PAYSAGE DE PIERRE
& CARTE DU CIEL
Pierre de rêve
Branches de cerisier
dans la nuit
J’écris en ce moment ces lignes dans ce qui est considéré comme l’une des
plus anciennes cités du monde. Dès le néolithique, des hommes ont creusé
dans ce site minéral des habitations troglodytiques. Au début de l’ère chrétienne, des chapelles ont pris place au fond des grottes. Des peintures
rupestres en ont recouvert les murs. En face de moi, j’observe le versant
de la colline rocheuse. Gravine : ainsi appelle-t-on, ici, ces impressionnants
ravins aux allures de canyon qui entourent Matera. À travers la lumière
du jour qui baisse, une écriture géologique apparaît, striant la verticalité.
Des dizaines, voire des centaines de millénaires ont dessiné sur la paroi
des traits similaires à ceux qu’engendrent les mouvements du pinceau de
Fabienne Verdier. L’évolution de la nature relève de la même énergie que
celle qui nous traverse. Je repense à la pierre de rêve que m’a montrée la
peintre dans son bureau. Une découpe transversale dans le marbre donne à
voir l’imagination naturelle des éléments (ici, l’on reconnaît une montagne ;
là, un torrent), à moins qu’il ne s’agisse de l’inscription de l’image au creux
de sa matérialité, l’ADN du visible, comme si tout était logé dans tout,
indéfiniment, comme le rêve est une mise en abyme de la réalité, ou une
réalité enfouie dans une autre réalité. Je découvre que cette tradition de
l’art chinois a des équivalents dans d’autres cultures. En Italie, on appelle
cela paesine (on suppose l’étymologie commune avec paysage). Découvrir
l’universel dans le singulier est une expérience fabuleuse : nos existences
ne sont pas recluses dans des espaces minuscules, elles appartiennent à
des logiques qui les dépassent. L’homme n’a pas créé la calligraphie : il s’est
inspiré des forces vives de l’évolution. Dans cet enchâssement des phénomènes, chacun répond à son échelle au déclic initial. La volonté inscrit sa
forme dans chacune de ses déclinaisons. Écrivant cela, j’apprends que le
mot Matera dérive probablement du grec ancien metèoron signifiant « ciel
étoilé ». Le site tirerait son nom du panorama qu’il offre sur la voie lactée.
Tout de suite, j’aime l’idée qu’un lieu se nomme d’après ce qu’il permet d’observer – et qui s’est imprimé dans la roche. La géologie est une carte du ciel.
« Je vous souhaite de trouver la clef des songes », m’a écrit Fabienne Verdier
alors que je venais d’arriver ici. Pour m’imprégner de son travail, je me
suis spontanément éloigné du champ saturé de la vie contemporaine.
Je dois me débarrasser de l’accessoire pour me rapprocher de la sensation première, et puiser l’énergie dans la minéralité. Un peu plus tard, je
cheminerai vers le rivage de l’Adriatique. L’air marin et le mouvement
des flots m’accompagneront dans ce voyage à l’intérieur de l’univers de l’artiste. La clef des songes, ai-je pensé, est ce qui lie le faisceau de confluences
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