Fabienne Verdier- Retables, Lelong&Co, Paris - Flipbook - Page 11
À la différence des retables d’église, dans lesquels l’arrière des panneaux
latéraux était peint (souvent en grisaille), les retables profanes de Fabienne
Verdier se contentent d’offrir leur recto. Ce n’est pas à l’histoire de la religion qu’elle emprunte cette forme, fût-ce pour la rajeunir ou la régénérer,
mais à l’histoire de la peinture. (Que l’histoire de la peinture en Occident
ait partie liée avec l’histoire d’une religion est cependant un fait incontournable.) Et comme la sculpture de Serra, le retable de Verdier n’est pas seulement une image à regarder mais une expérience à vivre. Ses volets latéraux
légèrement ramenés vers le centre vous invitent à entrer physiquement
dans l’image, dans sa danse. L’image s’ouvre pour vous comme une fleur,
elle pourrait se refermer, vous pourriez la refermer, l’invitation n’en est que
plus précieuse.
Les gestes que Fabienne Verdier a inscrits sur ces retables ne sont pas
entièrement neufs, on a même l’impression qu’en les traçant sur cette forme
pour elle nouvelle qu’est le retable, elle énumère comme une anthologie de
ses gestes anciens. Mais ce qui me frappe dans cette série, c’est l’intensité
de l’émotion qui commande le geste. Un drame est là. Même s’il est joyeux,
c’est un drame. Le retable assume une forme de théâtralité, quelque chose
d’essentiel et d’intensément poignant se joue sur cette surface animée.
Par le simple jeu des mesures, des proportions, de l’énergie, du rythme,
d’une couleur sur une autre, une pensée, un sentiment qu’aucun mot ne
saurait décrire se matérialisent sous nos yeux, deviennent presque tactiles.
Delacroix appelait cela la puissance silencieuse de la peinture.
Jean Frémon
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