Numéro 02 LexMag - Magazine - Page 21
Pierre-Antoine Berryer et l'éloquence du cœur
de coalition. Le 26 août 1845, il est à la barre du tribunal correctionnel
de la Seine. Devant lui, des ouvriers endimanchés. Berryer défend les
compagnons charpentiers de la Seine. Le délit de coalition est constitué
et la condamnation inexorable. Mais, tout en condamnant les actes de
violence commis, il réclame le droit pour les ouvriers de se réunir pour
défendre leurs intérêts les plus essentiels face à un patronat que la loi
napoléonienne a autorisé à s’unir dans une Chambre syndicale. Pour lui,
l’union est « le premier besoin des hommes, le droit le plus légitime de
ceux qui ont une position commune, un intérêt commun (…)[20] ».
Tous ses contemporains ont admiré son éloquence
et sa dialectique
Berryer revendique à nouveau ce droit en 1862, devant les magistrats de
Napoléon III. Il est l’avocat des ouvriers imprimeurs de la Seine, poursuivis pour avoir déserté les ateliers en guise de protestation contre la décision des patrons, supprimant la Commission arbitrale permanente créée
en 1843. C’est encore l’occasion de souligner les conséquences du libéralisme économique pour la classe ouvrière : « mais que veulent les ouvriers ?
dira-t-on. Ils ont, comme tout le monde, la liberté que leur donne la loi de
1791 : pourquoi ne s’en prévalent-ils pas ? Ah ! c’est
que, depuis 1791, les choses ont bien changé. La loi de
1791, abolissant les forces collectives, avait étendu à
l’individualité les pouvoirs les plus grands ; il ne devait plus y avoir de corporations, plus d’assemblées,
plus de registres, plus de président ; les forces collectives étaient détruites, afin que la France, disait-on,
pût jouir des e昀昀orts individuels, de l’activité de chacun. C’était l’utopie du temps. Mais aujourd’hui, qui
donc n’est pas corporé ? (….). Nous ne voyons autour
de nous que des chambres syndicales : agents de
change, notaires, avoués, huissiers, entrepreneurs
de tous les corps d’état, tous ont leur chambre ; tout
le monde est en corporation ; à une condition cependant : c’est qu’on soit maître. Et quand on sera
ouvrier, on sera l’homme réduit à la seule force individuelle. S’il arrive
à l’ouvrier de vouloir communiquer avec l’intelligence des siens, il commettra un délit (…) La liberté des transactions, la loi de 1791 ! Savez-vous
ce qu’il en reste ? Je vais vous le dire : il en reste l’oppression de ceux qui
Pour lui, l’union
est « le premier
besoin des
hommes, le droit
le plus légitime
de ceux qui ont
une position
commune, un
intérêt commun ».
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