Numéro 02 LexMag - Magazine - Page 13
Albert Naud et l'œuvre inachevée : "je suis avocat, un métier formidable, je veux dire terri昀椀ant"
Parce qu’il n’était pas du sérail, « ce fils d’agriculteur devait apporter dans sa vie professionnelle
ce quelque chose de l’humaine tendresse qui trop
souvent parait artificielle chez les gens de famille
de robes [32] ». Ayant déclaré la guerre à la barbarie des siens, tout le révoltait dans la peine capitale.
Il n’aura de cesse de dénoncer « l’inutilité d’une
telle cruauté ». Il narrera la première exécution à
laquelle il lui a été imposé d’assister. Celle de Fernand David, le « gestapiste » dit « David les mains
rouges », pourchasseurs de juifs, de communistes
et francs-maçons pendant la collaboration, aux côtés de qui il sera le 5 mai 1945, lors de son exécution : « David resta un instant debout, le menton
haut, comme s’il bravait encore la justice impitoyable des hommes, et la mort.
Parce qu’il n’était
pas du sérail, « ce
昀椀ls d’agriculteur
devait apporter
dans sa vie professionnelle ce quelque
chose de l’humaine
tendresse qui trop
souvent parait
arti昀椀cielle chez
les gens de famille
de robes ».
Puis ses jambes cédèrent d’un seul coup et il tomba, le torse raide, la face contre terre. Le coup de
grâce fit de sa cervelle un gros 昀氀ocon d’ouate rose sur le sommet de son
crâne. Ainsi c’était cela le sommet de la justice ! Cette barbarie se voulait
utile, exemplaire, rédemptrice [33] ». L’avocat fait alors le serment de lutter
contre cette mort in昀氀igée, dont il a été le témoin et qu’il n’a pu empêcher.
Par la suite, il militera dans plusieurs associations : l’Union pour la liberté
créée par ses soins en 1952 et l’Association française contre la peine de mort.
La plume relayant la parole avec un égal talent, un ouvrage s’adressera à tous
ceux qui n’imaginent pas ce que signifie la mention sur un bout de papier
lu au petit-déjeuner, « X a été exécuté ce matin ». Il aura vu de la cellule à la
fosse commune, une tête d’un jeune homme, que le bourreau porte collée à
sa cuisse jusqu’à la table des chirurgiens. Il tirera des portraits féroces de ces
hommes dont la profession a été de tuer au nom de la société.
Décédé à Paris le 20 février 1977, n’ayant pas eu d’enfant, il porta le deuil du
petit Michel, ainsi exécuté à l’âge de 22 ans. Ancien membre du Conseil de
l’Ordre [34], il ne verra pas l’aboutissement de son combat.
Toutefois, jusqu’à la fin de sa vie, il fera tout pour contribuer à ruiner, dans
l’esprit du public, la faveur dont jouissait encore la peine de mort [35]. Ses
mots sont simples et se passent de démonstration : « la peine de mort ne
peut pas être juste à raison de tout ce qui manque aux hommes pour bien
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