Numéro 02 LexMag - Magazine - Page 11
Albert Naud et l'œuvre inachevée : "je suis avocat, un métier formidable, je veux dire terri昀椀ant"
Il sait aussi se mé昀椀er
des plaidoiries qui font
plaisir à celui qui les
écoute : « mé昀椀ez-vous
du violoncelle. Sa voix
est belle, mais son
ventre est creux »
bord d’une mort probable et apparemment
ignominieuse avait, d’emblée, mêlé sa personnalité à la mienne [18] ». Au cours de
ce qu’il qualifiera de faux procès, tenu par
Paul Mongibeaux, président qui avait prêté
serment de fidélité au Maréchal Pétain, et
dont la préoccupation unique fut la rapidité,
toutes les règles de procédure pénale étant
violées [19], l’avocat refuse de cautionner la
comédie d’une justice soumise aux ordres
du pouvoir politique. Il demande dès lors à son Bâtonnier d’être relevé de sa
commission d’office. La défense s’abstient, expliquant que « l’honneur et le
prestige de notre Ordre nous interdisaient de nous associer à des débats qui
n’avaient de judiciaires que le nom [20] ».
Albert Naud en tire un témoignage dans un ouvrage : pourquoi je n’ai pas
défendu Laval [21]. Il y décrit un désastre judiciaire. Celui à l’occasion duquel les droits de la défense ont été violés avec méthode et cynisme. Il y
fustige la médiocrité ambiante. Il vilipende une justice de classe : « (…), la
bourgeoisie qui avait versé en silence et bien clandestinement des larmes
d’amour et de pitié sur les malheurs du vieux Maréchal, n’éprouvait aucun élan lorsqu’il s’agissait de Laval. L’allure un peu gouape de notre client,
ce mégot éternel qui charbonnait à sa lèvre, cette peau noiraude aux re昀氀ets jaunâtres de Mongol, ce cheveu gras et indiscipliné, toute cette vulgarité de grand seigneur bohémien que dégageait sa personne, tout un
passé réputé trouble et plein de compromission, de
J’ai défendu Pierre marchandage et d’habilités faisait que Laval ne pouLaval, moi résistant… vait pas être l’homme de la bourgeoisie [22] ». La conséje l’ai aussi aimé cration de la haine à laquelle il assiste le répugne : alors
que l’accusé a pris du cyanure, il n’est pas question de
comme on aime
le laisser mourir. La justice doit passer. Les médecins
un frère à l’instant de s’acharnent. Ils pratiquent un lavage d’estomac. Il est
la mort. Je l’ai envisagé de fusiller le traitre sur un brancard, appuyé
embrassé avant contre un poteau d’exécution. Laval se redresse : il est
exécuté, défiguré par le coup de grâce d’un sergent en
qu’il ne tombe sous
plein front : « Pierre Laval ! ils ont voulu détruire ton
les balles, comme identité », clame l’avocat, marqué à jamais. « J’ai déj’aurais embrassé fendu Pierre Laval, moi résistant… je l’ai aussi aimé
mon frère a comme on aime un frère à l’instant de la mort. Je l’ai
embrassé avant qu’il ne tombe sous les balles, comme
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